Le mobilier et les sièges furent la grande préoccupation du XVIIIeme siècle. Jamais, à aucun moment de notre histoire, on ne vit un tel luxe, une telle prodigalité.
Il n'est pas rare de trouver des salons de cent mille écus. Un comte d'Evreux, mourant dans la misère, laisse cependant 20,000 livres de mobilier. Une marquise de Massiac en possède à elle seule pour deux millions. Mme de Pompadour, à en croire d'Argenson, donne mille écus de pension à un ébéniste du faubourg Saint-Antoine pour lui avoir fait une belle chaise percée. Tous les six ans il est de bon goût de changer son ameublement.
Imaginez ce qu'une telle folie de dépense pouvait donner d'activité et d'essor à l'ébénisterie et à la menuiserie !
Jamais l'art du bois ne fut poussé plus loin. Le vocabulaire technique s'enrichit de plus de cinquante mots. Nombres d'ébenistes et de menuisiers s'installent à Paris.
Mais leurs efforts sont vains. Ils ont beau se multiplier, faire appel à leurs confrères d'outre-Rhin, qui viennent à l'envi s'établir à Paris, ils ne peuvent satisfaire l'impatience de leur clientèle. On veut voir son désir exaucé aussitôt qu'il a pris naissance
Quand, avec la Régence, la hiérarchie des sièges commence à s'effacer, que le fauteuil n'est plus un honneur auquel seul les hauts personnages peuvent prétendre, ses formes s'allègent, s'assouplissent, se contournent, et l'amour des courbes, des lignes sinueuses, que nous avons trouvé parfois si déraisonnable dans les gros meubles, devient ici la plus heureuse des transformations.
Le fauteuil épouse les formes mêmes du corps féminin. Il se renverse, il se cintre, on y peut rêver, s'étendre, dormir. On y passe ses jours et ses nuits : il arrive même qu'on y meurt comme le Régent en 1723, dans une con- versation avec Mme de Falaris.
Formes chantournées, pieds en S, dossiers en formes violonnées, surmontés de motifs rocaille et de coquilles, telles sont les caractéristiques bien connues du fauteuil Louis xv. Mais que de variétés dans l'espèce ! Que de modifications ingénieuses, inspirées par cet amour du confort qui s'empare de toutes les classes de la société !
La mode des paniers s'accommode mal des bras du fauteuil, les élégantes ne peuvent s'asseoir que sur le bord du siège sous peine de ramasser leurs jupes sur leurs genoux de la façon la plus disgracieuse du monde.
Les tapissiers vont-ils s'embarrasser pour si peu ? Ils reculent les bras en plaçant en retrait les consoles qui les portent, et cette adaptation à un nouvel usage donne un cachet tout spécial au fauteuil régence.
A la même époque apparaît la bergère, agréable fauteuil en gondole, au dos arrondi, au dossier rembourré, pourvu de joues, de manchettes, le siège garni d'un carreau, ou petit matelas de plumes, que l'on garnit de soie, d'étoffe de Perse, de satin ou de toile de Jouy.
On pousse la délicatesse au point d'y joindre une autre petite bergère très basse, et le bout-de-pied, rapproché du fauteuil, en fait une chaise longue.
Plus tard c'est la marquise, large et profonde, à dossier bas, à accotoirs relevés ; le fauteuil en confessionnal, haut de dossier avec des accotoirs et des joues ; le cabriolet, coquet petit siège de réputation un peu interlope, qui garnit les boudoirs d'actrices, et qui s'introduit,jusqu'au sein de l'Académie française.
Que dire encore ? On rencontre autour du foyer le fauteuil à cartouche, le fauteuil à carreaux, le fauteuil à poche, le fauteuil à oreilles, le fauteuil à la reine. Marie Leczinska met à la mode le dossier ovale. Mais le summum du confortable c'est le fauteuil de commodité, avec pupitre pour pouvoir écrire, crémaillère pour hausser et baisser le dossier selon que l'on veut dormir ou s'appuyer.
Tous ces sièges se font à bois apparent, doré ou laqué.
On les recouvre de damas, de velours cramoisi ou blanc, de velours d'Utrecht, d'étoffes de Perse, parfois même de maroquin. La manufacture de Beauvais, sous l'habile direction d'Oudry (1734), se fait une spécialité de tapisseries à nuances douces et agréables, destinées à ces jolis sièges.
Boucher, Huet, Leprince fournissent les cartons.
On tisse des fables de la Fontaine, des scènes de Molière, des pastorales, des singeries, des chinoiseries, tout un parterre de fleurs. On reproduit même des grotesques de Bérain, qui n'ont presque pas vieilli, tant ce prestigieux ornemaniste avait dépassé l'art solennel de son temps.
Aubusson aidant, les salons se garnissent de ces admirables ameublements en tapisserie qui, sous leurs couleurs passées, font encore notre admiration et excitent les folles enchères dans les grandes ventes.
Bien entendu, les menuisiers ne se bornent pas à ces meubles de haut luxe, réservés à une clientèle fortunée. Leur entente du bon marché nous vaut la création de garnitures de sièges plus modernes, la paille nattée et la canne.
Remarque curieuse : la mode du siège de paille — nous ne disons pas l'invention — est un caprice princier qui remonte à la Régence. Si nous en croyons cette mauvaise langue de Saint-Simon, qui haïssait cordialement Philippe d'Orléans, les princes et princesses du sang, par dépit du rang qu'occupait le Régent, s'établirent sur de petites chaises de paille qui les dispensaient d'offrir des fauteuils à ceux qui pouvaient y prétendre.
Il n'en fallait pas plus pour mettre en vogue les sièges en paille nattée, plus maniables, plus frais en été, faciles à garnir de coussins, de dossiers, de carreaux qu'on pourrait faire aussi riches qu'on le désirait avec des toiles de l'Inde, du satin ou du brocard.
Comme la première qualité exigée de ces petits meubles est la légèreté, les ébénistes inventent une construction spéciale. Au lieu de faire les assemblages à tenons et à mortaises, comme dans les autres sièges, ils les font à simples tourillons. Les dossiers ne se composent que de deux montants réunis par des traverses.
Le fauteuil (et la chaise) à la capucine sont inventés. C'est le siège moderne tel qu'il s'est perpétué jusqu'à nous.
Quant à la canne (treillis en écorce de canne ou rotin des Indes), c'est une importation étrangère que les Hollandais avaient introduite en France dès le début du XVIIIeme siècle. Mais d'un produit exotique, les tapissiers de Louis XV savent faire la création la plus française du monde. Couleur naturelle ou dorés, leurs cannages s'allient aux formes les plus élégantes de bâtis, aux sculptures les plus délicates, et pénètrent jusque chez Mme de Pompadour et chez le roi.
Ce que nous avons dit du fauteuil s'applique à la chaise, avec cette remarque que le règne de Louis XV a vraiment vu naître ou tout au moins se multiplier ce siège léger. Quant au tabouret, bien déchu de sa grandeur protocolaire, on ne trouve plus ce meuble inconfortable que dans quelques salons démodés, chez des douairières qui se rappellent leurs succès du siècle passé. Il est juste d'ajouter qu'on en fabrique de très riches et de très luxueux.
Et les canapés, et les sophas ? Nous avons gardé pour la bonne place ces sièges de tout repos, dont l'histoire — que nous nous garderons bien d'entreprendre — touche au roman, à la poésie légère, au théâtre, à la chanson, à la vie intime de tout un siècle galant et libertin.
Ici, la métamorphose est plus surprenante encore. On dirait que les ornemanistes ont fait de la rigide banquette du Grand Siècle un meuble mouvementé, contourné, chantourné, d'une richesse et d'une élégance incomparables, plus vaste que la bergère, moins allongé que le lit de repos, unissant la grâce de l'une au confortable de l'autre, le siège par excellence des poses gracieuses et des conversations entre chien et loup.
Et quelle variété dans les formes ! Nous avons le canapé à joues, dont les bras sont garnis de deux petits panneaux rembourrés qui se raccordent avec le siège ; le canapé conjident, garni aux deux extrémités de deux petits sièges triangulaires placés en retour, où deux nouvelles personnes peuvent s'asseoir ; la veilleuse ; la méridienne, intermédiaire entre la causeuse et la chaise longue ; le divan, le paphose, l'ottomane, le plus voluptueux de ces meubles coquets, qui apparaît dès 1729 avec son dossier sans joues, arrondi aux deux extrémités en demi-cercle, et qui se fait dans les plus riches garnitures, damas vert, velours ciselé à fond d'or, lampas cramoisi et blanc, velours cramoisi galonné d'or.
Mais le plus répandu, c'est encore le sopha, ce vaste canapé à quatre ou six places, que la Turquie nous envoya dès la fin du XVIIIeme siècle.
Quant aux lits de repos et aux chaises longues, passons-les sous silence. Leurs formes ne présentent rien d'original. Il n'y aurait qu'à s'étonner de leur richesse et de leur abondance, si Bachaumont ne nous apprenait que de son temps les belles dames s'y étendaient pour recevoir leurs visites, y travaillaient au métier, ou s'y livraient à d'autres fonctions qu'il oublie de préciser.