Le Musée des Arts décoratifs consacre actuellement une superbe exposition aux secrets de la laque française du XVIIIème siècle, et aborde l’engouement de l’époque pour le Vernis Martin.
Réalisée en collaboration avec le Lackkunst Museum de Münster en Allemagne, l’exposition réunit près de 300 objets.
Commode à deux rangs de tiroirs, attribuée à Jean Demoulin, Paris, vers 1745. Bâti de chêne, préparation laque noire, décor en relief de laques polychromes, bronzes ciselés et dorés, marbre brèche d’Alep. Paris, musée des Arts décoratifs © Les Arts Décoratifs / photo : Jean Tholance
La laque est un produit connu en Europe depuis l’Antiquité. La gomme-laque est produite par une cochenille (Coccus lacca) qui vit en Inde et dans le Sud-Est asiatique et sécrète une résine rouge foncé sur les branches des arbres, que l’on récolte une fois sèche.
Dès le XVIème siècle, les navigateurs portugais rapportèrent de leurs voyages quelques laques asiatiques. Mais le commerce de celles-ci s’amplifia surtout au siècle suivant, avec les Hollandais, qui obtinrent le monopole du commerce avec le Japon. L’engouement pour les laques asiatiques prit notamment de l’ampleur suite à la visite des ambassadeurs du roi de Siam en 1686, au cours de laquelle furent offerts de prestigieux présents à Louis XIV.
Vers la fin du XVIIe siècle, le coût de plus en plus élevé de la production de laque japonais et la qualité moindre des laques d’importation chinois, amenèrent les européens à vouloir s’approprier la maîtrise de cette matière. A défaut de percer le secret de sa composition, on imita son aspect. En France comme en Allemagne, en Angleterre et en Hollande, les artisans vernisseurs se développèrent pour tenter d’imiter les productions orientales.
Boîte, anonyme, d’après Jean-Michel Papillon, Paris, vers 1740
Bois, laque noire, décor en relief rehaussé de laque d’or et de poudre d’or et d’argent, laque rouge, applications d’ivoire et de nacre de diverses teintes rehaussées de gravure.
H. 4,3 ; D. 8,4 cm.
Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe © DR
Parmi les plus célèbres vernisseurs, les frères Martin, dont la renommée fut telle que leur nom fut associé à la technique, puis à toute la production de laque en France, étaient situés à Paris, rues des faubourgs Saint-Denis et Saint-Martin. Guillaume Martin (1689- 1749), le plus célèbre, fut nommé « vernisseur du Roy » en 1725. Il est l’aîné d’une fratrie de vernisseurs : Étienne-Simon (1703-1770), Julien (mort en 1765), Robert (1705-1765) , Guillaume II (1710-1770), dont les enfants prendront la relève. Difficile cependant de les différencier les uns des autres, les documents d’archives n’indiquant souvent que le nom de « Martin ». Les Martin, comme leurs confrères peintres doreurs-vernisseurs, ne signaient ni ne marquaient leur production.
En 1728, les frères Martin mirent au point une imitation de laque, dont la recette, gardée secrète, était destinée à concurrencer les laques du Japon. Différente du point de vue de la composition chimique, elle serait à base de copal d’après certaines sources.
Pour le décor de mobilier, le vernis Martin était moins coûteux que l'application de panneaux de laques. Il connut rapidement un grand succès.
Peu à peu, le vernis Martin s’émancipa et s’éloigna de l’Orient, par le choix des couleurs tout d’abord, car les laques japonais et chinois sont uniquement sur fond noir et rouge, tandis que le vernis Martin offre une palette plus variée, introduite dans les années 1735-1745. C’est en effet l’introduction de la couleur qui fait l’une des spécificités de la laque française. Désormais, se substituent aux fonds noirs et rouges, des fonds jaune, bleu, vert, blanc ou or.
Boîte de toilette, anonyme, Paris, vers 1750
Bois, préparation, laque bleue, décor en léger relief de laque avec poudre d’or, laques brune et rouge, bronze doré.
Collection privée
© DR / photo : Jean Tholance
De plus, l’iconographie s’éloigne peu à peu des scènes et paysages asiatiques pour interpréter les œuvres des peintres de l’époque. Les œuvres de Greuze, Boucher, Oudry ou Vernet sont les principales sources d’inspiration. On les retrouve dans tous les domaines : meubles, panneaux de boiserie, objets d’ameublement, boîtes, étuis, et tabatières en laque dont les Martin sont considérés comme les inventeurs. Le vernis Martin sublime ainsi tout type de supports (bois, métal, argent, céramique, tôle…) et s’applique à toutes les formes, du plus petit objet au plus grand. Présent dans toutes les grandes demeures, le vernis Martin devient un témoin de l’art de vivre du XVIIIe siècle français.
Commode à deux rangs de tiroirs, transformée en console, estampillée de Jean-Louis Grandjean et Pierre Macret, Paris, vers 1755
Bâti en chêne et résineux, préparation, laque verte, décor à l’huile, laque transparente, bronze doré, marbre Sarrancolin.
Waddesdon, The Rothschild collection (Rothschild Family Trust)
© DR
Les Martin travaillèrent aussi les décors des carrosses et des berlines. Recherchées par toute l’Europe, ces berlines furent commandées par plusieurs monarques et princes fortunés. Parmi eux, Jean V du Portugal commanda vingt-quatre berlines en 1727, et l’ambassade du prince Joseph Wenzel de Liechtenstein. La production atteint alors les sommets du raffinement. Les frères adaptent leur technique au support de ces voitures brillantes, dont les panneaux permettent de réaliser de véritables tableaux, inspirés des scènes de genre d’Oudry, Boucher, Dutour, Huet, Crépin, ou Greuze.
Berline de la maison du Roi, anonyme, Paris, vers 1760
Bois sculpté et doré, laques noire, rouge, peinture à l’huile vernie polie, laque aventurine, laque transparente.
Intérieur garni de velours bleu brodé d’or, taffetas bleu, cuir, verre et métal.
Lisbonne, Museu Nacional dos coches © DR
"Les secrets de la laque française : le vernis Martin"
Exposition au Musée des Arts décoratifs, Paris, du 13 février 2014 au 8 juin 2014.